mercredi 1 avril 2015

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Le leurre de l'éducation sans contrainte



Par Marguerite Petrovna

Depuis les attentats des 7 et 9 janvier, le monde de l'éducation s'émeut. À en croire nos têtes pensantes, les frères Kouachi et Coulibaly seraient la manifestation, non tant d'un délire mystico-politique, que celle de la faillite de notre École. Une semaine après le double drame, la ministre de l'éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonçait la mise en place d'une batterie de mesures qui, nul n'en doute, passeront l'envie à tous nos apprentis terroristes d'entamer leur baptême du feu.


Je ne m'étalerai pas sur la dimension politicienne de ce genre de proclamation. Le Français, et tout particulièrement son avatar sublime et généreux qu'est le parent d'élève, s'attend d'ailleurs à ce que la ministre prenne des mesures radicales, et il s'attend tout autant à ce qu'elle communique immédiatement ; et comme toujours, lorsqu'on communique dans l'urgence, on oublie au passage de penser. 
Examinons un instant le contenu des mesures anti-kouachisation du ministère et leurs implications idéologiques.
La ministre suppose que l'échec social et identitaire des terroristes en devenir est le fruit d'un manque de mixité sociale qui les enfermerait dans une image négative d'eux-mêmes. Le constat est tout à fait intéressant; mais ce n'est pas en entassant dans des pièces de 30m2 des élèves qui n'ont rien à se dire et, la plupart du temps, se méprisent totalement, que nous allons résoudre la question. Mais c'est un autre débat, qui nécessiterait au passage une étude plus approfondie des mécanismes de la pensée magique dans les théories éducatives à l'honneur.
Elle annonce ensuite l'introduction d'une heure d'enseignement moral et d'éducation aux médias dans les programmes du primaire et du secondaire, le tout dès la rentrée 2015.
L'échéance paraît bien proche et découle très évidemment de cette hystérie de la réponse institutionnelle que nous subissons depuis des années.
Rassurons-nous cependant : l'éducation aux médias, qui est une urgence vitale dans une société où les adolescents, contrairement à ce que veulent nous faire croire les publicités pour Acadomia, sont démunis face à l'outil numérique et la recherche de l'information, n'est pas tout à fait une découverte pour les enseignants. Elle figure déjà au programme et les professeurs-documentalistes, quand on veut bien les solliciter, travaillent déjà sur la question.
L'enseignement de la morale est plus problématique. Entendons-nous: je n'adhère pas du tout à la ligne gauchisante qui feint de croire que toute éducation est une violence et que nous devons nous garder d’imposer une quelconque manière de voir ou d'agir à nos jeunes. C’est sur les méthodes à employer que je suis plus sceptique.
S’il est bien un présupposé qui m’emplit d’étonnement chaque jour que Dieu fait, c’est qu’on puisse transmettre – un savoir, et surtout un savoir-être – sans passer par la contrainte.
Or toute la doctrine pédagogique en vogue repose sur le refus de la contrainte. Dans le domaine du savoir tout d’abord : ce n’est pas au maître de transmettre son savoir, de manière verticale, mais à l’élève de le réinventer, par le biais de l’induction et de l’expérimentation. Mais aussi dans le domaine purement et strictement éducatif : la contrainte des corps et des esprits est un échec. Seul le libre apprentissage permet l’épanouissement du futur adulte.
Tout ceci est très joli mais a manifestement été conçu par des loufoques qui n’ont jamais mis un pied dans un établissement d’enseignement secondaire. Qu’un adolescent des beaux quartiers à qui ses parents ont appris le savoir-vivre sache se contraindre instinctivement, je veux bien le croire ; mais la pédagogie inversée en ZEP, c’est non. Il y aurait beaucoup à dire sur le principe charmant qu’il faille, à chaque génération, réinventer la lune et les quelques mégatonnes de connaissances que nos ancêtres ont produit en deux petits milliers d’années. Mais éduquer sans contrainte, vraiment ?
Il suffit de se pencher trois minutes sur la question pour constater qu’éduquer équivaut, dans le lexique, à modeler. Un jeune enfant n’a pas reçu avec son lait Blédina les principes fondamentaux de la vie en société : tenir la porte aux vieilles gens, lire Le Monde, écouter sagement les plus grands. A priori, il peut même ruer dans les brancards. L’éducation efficace visera ainsi à lui donner le goût des bonnes et belles choses, puis à le rendre autonome par la formation de son esprit critique.
On supposera donc que nos lycéens sont suffisamment autonomes, ayant atteint, pour la plupart, l’âge de 15 ans, et qu’ils peuvent donc profiter des jouissances intellectuelles d’un enseignement de la morale fondé sur la libre expression des opinions.
Malheureusement l’expérience prouve que l’éducation à l’autonomie, qui occupe des pages entières sur Eduscol, a été légèrement occultée par les familles ces dernières années. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’un système scolaire, dont la fonction est de croître à l’infini et de maintenir en état de minorité une part toujours plus significative de la population, n’ait pas vraiment pour objectif de nous rendre autonomes. Autonome sur un banc d’école, c’est peut-être une contradiction dans les termes.
Nous nous retrouvons avec des milliers de jeunes gens, fort sympathiques ma foi, mais dont le degré de maturité face à la vie égale celui d’un chaton de trois semaines. La conséquence la plus immédiate est qu’il est difficile de faire appel à leur esprit critique : il est moins qu’embryonnaire.
La réponse systématique de l’enseignant est celle-ci : s’ils ne comprennent pas (que la tolérance/la justice/la laïcité/la République sont des valeurs fédératrices), ils l’auront au moins entendu une douzaine de fois. Et ils comprendront plus tard.
J’aime bien l’idée (peut-être vaut-elle aussi pour les textes de Ronsard et de La Fontaine), mais je la trouve un peu facile. Il est exagérément optimiste de supposer que la simple émission d’un message suffit à lui donner de la force. Des types aussi mineurs que Démosthène et Jean Jaurès ont réfléchi sur la forme d’un discours, et ne se sont pas contentés de répéter d’une voix falote qu’il fallait bouter Philippe hors de Grèce ou les bourgeois hors de l’Assemblée.
Or voici bien ce qu’on nous propose : répéter, sans contrainte, ni polémique, que la France est tolérante et que tuer c’est pas bien. Le tout sans heurter les convictions des uns et des autres. C’est ce qu’on appelle, au fond, se défausser.
Une fois que le prof d’histoire aura fait son topo sur la tolérance, qu’on aura posté le compte-rendu sur le site de l’Académie, et que les inspecteurs se seront fait des compliments, on reprendra notre routine.
Pendant ce temps la 2nde 5 continuera à m’expliquer que la peine de mort est bien utile et que les mécréants n’ont que ce qu’ils méritent. Et je répondrai. Mais sans contrainte.

Le tableau de couverture est de Joaquin Sorolla y Bastida.


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